Le 21 mai 1832, Montréal fut le théâtre d’un drame électoral. Des affrontements armés ont coûté la vie à trois hommes venus exercer leur droit de vote. Cet événement tragique a marqué un tournant brutal dans l’histoire démocratique du Québec, révélant les tensions profondes de l’époque coloniale.
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- 🗳️ Une élection partielle tendue à Montréal en 1832 a opposé le Parti patriote aux bureaucrates coloniaux.
- ⚔️ La montée des tensions a culminé avec l’intervention de l’armée, sur ordre des magistrats.
- 💔 Le 21 mai 1832, trois électeurs, François Languedoc, Pierre Billet et Casimir Chauvin, ont été tués.
- ⚖️ Malgré la victoire des Patriotes, l’événement a souligné la brutalité du pouvoir colonial, nourrissant un radicalisme qui mènera à la Rébellion de 1837.
Un contexte électoral sous haute tension
Au cœur du Vieux-Montréal, une élection partielle animait les passions en 1832. Ce scrutin revêtait une importance symbolique majeure. Deux visions du monde s’y affrontaient avec force. D’un côté, le Parti bureaucrate défendait les intérêts des marchands. Il représentait l’élite anglo-montréalaise et le pouvoir colonial établi. Son candidat était Stanley Bagg, un prospère homme d’affaires américain. Bagg bénéficiait de l’appui de Pierre-Édouard Leclère, futur surintendant de la police de Montréal.
De l’autre, le Parti patriote incarnait la volonté de réforme. Ce parti donnait une voix aux aspirations des Canadiens français. Il ralliait aussi diverses communautés marginalisées, comme les Irlandais. Leur candidat était Daniel Tracey, un médecin irlandais redouté. Tracey était également le propriétaire du journal Vindicator. Il recevait le soutien de Ludger Duvernay et de La Minerve. Tracey attirait l’adhésion des partisans de Louis-Joseph Papineau, figure emblématique du mouvement réformiste.
Une intimidation manifeste des électeurs
La confrontation électorale dépassa rapidement le simple cadre du vote. Depuis plusieurs semaines, la tension montait de manière palpable. L’élection s’étendait du 23 avril au 22 mai. Dès les premiers jours, Tracey prit l’avantage. Cependant, la machine adverse se mit en branle avec efficacité. Les connétables, assermentés pour assurer le bon déroulement du scrutin, manquaient cruellement de neutralité. Selon les chiffres ultérieurs, la quasi-totalité d’entre eux appuyait Bagg. Leur zèle ne se limitait pas à l’administration. Ils intimaient et bousculaient ouvertement les électeurs du camp opposé. L’atmosphère générale était lourde, voire explosive, annonçant un drame imminent. La peur commençait à gagner la rue.
Le jour fatal du 21 mai 1832
Le 20 mai, des magistrats influents comme McGill et Molson accédèrent à une demande du comité de Bagg. Ils offrirent une protection spéciale pour accompagner les partisans de Bagg aux urnes. Le lendemain, 21 mai 1832, le vote se poursuivait sous une chaleur accablante. Une foule importante s’était massée autour du bureau électoral de la rue Saint-Jacques. Les discussions étaient vives, et les esprits s’échauffaient de minute en minute.
Les magistrats jugèrent alors la situation instable et dangereuse. Sans chercher à calmer la tension, ils appelèrent l’armée en renfort immédiat. Les soldats, postés à proximité, attendaient le signal. Un magistrat lut la Loi sur les émeutes pour disperser la foule. Quelques minutes plus tard, les ordres tombèrent, et l’armée ouvrit le feu sans sommation.
Ce jour-là, trois hommes s’écroulèrent sur la rue Saint-Jacques: François Languedoc, Pierre Billet et Casimir Chauvin. Des Canadiens ordinaires venus exercer ou défendre un droit fondamental. Ils devinrent, en un instant, les premiers martyrs civils d’une élection dans l’histoire du Québec. Monseigneur Lartigue parlera de « rue du sang ».
Les répercussions d’une victoire amère
Le massacre choqua profondément la population, mais ne ralentit pas la machine électorale. Le 22 mai, Daniel Tracey fut finalement élu. Ce fut une victoire fragile, profondément entachée de deuil et de colère. Les journaux se déchirèrent dès le lendemain. Pour certains, l’acte était barbare, un abus de pouvoir inacceptable. Pour d’autres, il s’agissait d’une réponse mesurée à une émeute. Une historienne britannique écrivit froidement que les Habits rouges n’avaient tué que trois Canadiens, insistant sur une « discipline militaire exemplaire ».
Cependant, les patriotes ne l’entendirent pas de cette oreille. Dans les semaines suivantes, la colère populaire enfla considérablement. Les leaders politiques, avec Papineau en tête, dénoncèrent l’impunité des coupables. Les soldats responsables des tirs furent finalement acquittés. Le colonel McIntosh, lui, fut même fait chevalier en Angleterre, un affront pour les Patriotes. Pour les partisans du Parti national, cette élection fut une leçon amère. Malgré la victoire de Tracey, ils comprirent que la voie parlementaire était minée.
Le pouvoir colonial avait montré qu’il n’hésiterait pas à faire taire les urnes par les fusils. Cette tragédie marqua un tournant décisif. La répression brutale, l’intimidation et les canons braqués alimentèrent le radicalisme naissant des patriotes. Cinq ans plus tard, ces tensions mèneraient à la révolte de 1837. Comme le dira plus tard l’historien Jacques Lacoursière, les événements du 21 mai furent « une arme nouvelle » pour Papineau et ses alliés.
L’élection partielle de 1832 n’a pas été qu’un affrontement entre candidats. Elle fut le reflet d’une société coloniale en crise. Une société tiraillée entre l’ordre imposé et le désir profond de représentation. Le 21 mai 1832 restera à jamais une journée noire. Le droit de vote, si banal aujourd’hui, fut autrefois une conquête périlleuse et sanglante.
