Selon Ian Bremmer, éminent politologue et expert en géopolitique, l’internet, autrefois perçu comme un moteur de démocratisation, a radicalement changé de nature. Ce virage, passant d’un outil de libération à une force de centralisation, menace gravement les fondements mêmes de la démocratie. Cette évolution inquiétante est un signe avant-coureur du déclin de nos systèmes ouverts.
⚡ Pas assez de temps ? Un résumé vite fait !
- 💡 L’internet, d’une force de démocratisation, est devenu un outil de centralisation du pouvoir.
- 📊 Les données et les algorithmes concentrent désormais l’influence entre les mains de quelques acteurs.
- 🤖 L’intelligence artificielle va accentuer cette tendance, favorisant la stabilité des systèmes autoritaires.
- 🔄 La « courbe en J » de Bremmer, liant ouverture et stabilité, se déforme, annonçant un monde plus fermé.
La promesse démocratisante du numérique
Il y a quelques décennies, l’arrivée d’internet suscitait un immense optimisme. Les visionnaires croyaient que la révolution numérique allait donner plus de pouvoir aux individus. Elle devait les affranchir de l’ignorance, de la pauvreté et de la tyrannie. Pendant un certain temps, cette promesse semblait se concrétiser, offrant un accès sans précédent à l’information et connectant les gens partout dans le monde.
Ian Bremmer avait conceptualisé la « courbe en J ». Ce modèle liait l’ouverture d’un pays à sa stabilité politique. Les démocraties matures étaient stables grâce à leur ouverture. Les autocraties consolidées l’étaient par leur fermeture. Les pays « au milieu » restaient vulnérables. La révolution des télécommunications et d’internet semblait alors confirmer cette théorie. Elle poussait le monde vers plus de liberté. Des événements comme la chute du mur de Berlin aux révolutions de couleur en Europe de l’Est et au printemps arabe en ont témoigné.
« La technologie était censée disperser le pouvoir. Les premiers visionnaires d’Internet espéraient que la révolution numérique donnerait aux individus le pouvoir de se libérer de l’ignorance, de la pauvreté et de la tyrannie. Et, pendant un certain temps du moins, ce fut le cas. »
Le virage centralisateur et la courbe en « J » inversée
Pourtant, cette dynamique s’est inversée. La révolution de l’information, axée sur la décentralisation, a cédé la place à une révolution des données. Celle-ci est bâtie sur les effets de réseau, la surveillance numérique et l’influence algorithmique. Au lieu de diffuser le pouvoir, ces technologies l’ont concentré. Un petit nombre d’acteurs contrôlent désormais d’énormes ensembles de données. Qu’il s’agisse de gouvernements ou d’entreprises technologiques, ils peuvent ainsi façonner ce que des milliards de personnes voient, font et croient.
Les citoyens, autrefois moteurs, sont devenus des cibles de filtres technologiques et de collecte de données. Les systèmes fermés ont alors gagné du terrain. Les acquis des révolutions de couleur et du printemps arabe se sont inversés. La Hongrie et la Turquie ont muselé leur presse libre et politisé leurs systèmes judiciaires. Le président chinois, Xi Jinping, a consolidé son pouvoir. Il a également inversé deux décennies d’ouverture économique chinoise. Plus frappant encore, les États-Unis sont passés d’exportateur de démocratie à exportateur d’outils qui la sapent.
L’ère de l’intelligence artificielle
L’explosion des capacités de l’intelligence artificielle va amplifier ces tendances. Les modèles entraînés sur nos données privées individuelles nous « connaîtront » bientôt mieux que nous-mêmes. Ils programmeront les humains plus vite que l’inverse. Cela transférera encore plus de pouvoir aux quelques acteurs qui contrôlent les données et les algorithmes. La « courbe en J » se déforme alors en un « U ». Les sociétés très fermées et les sociétés hyper-ouvertes deviennent toutes deux fragiles. À terme, l’IA pourrait durcir les autocraties et fragiliser les démocraties. Elle inverserait la courbe, favorisant désormais les systèmes fermés.
« Les modèles entraînés sur nos données privées individuelles nous « connaîtront » bientôt mieux que nous-mêmes, programmant les humains plus vite que nous ne pouvons les programmer et transférant encore plus de pouvoir à la poignée d’acteurs qui contrôlent les données et les algorithmes. »
Une lueur d’espoir ? L’IA open-source
Dans ce futur dystopique, le Parti communiste chinois utiliserait ses vastes données et son appareil de surveillance. Il en ferait un avantage politique durable. Les États-Unis s’orienteraient vers un système technopolaire. Un petit groupe de titans de la technologie exercerait une influence croissante sur la vie publique. Des pays comme l’Inde et les États du Golfe suivraient cette voie. L’Europe et le Japon risqueraient l’insignifiance géopolitique ou l’instabilité interne.
Existe-t-il une échappatoire ? Peut-être, si les modèles d’IA open-source décentralisés finissent par l’emporter. À Taïwan, des ingénieurs et activistes créent un modèle open-source basé sur DeepSeek. Leur but est de maintenir l’IA avancée entre les mains des citoyens. Le succès pourrait restaurer une partie de la décentralisation promise par l’internet initial. Cela pourrait aussi abaisser les barrières pour les acteurs malveillants. Pour l’instant, cependant, l’élan est du côté des modèles fermés. Ils centralisent le pouvoir.
L’histoire offre une lueur d’espoir. Chaque révolution technologique précédente, de l’imprimerie aux chemins de fer, a d’abord déstabilisé la politique. Elle a ensuite forcé l’adoption de nouvelles normes et institutions. Celles-ci ont finalement rétabli l’équilibre entre ouverture et stabilité. La question est de savoir si les démocraties peuvent s’adapter à nouveau avant que l’IA ne les élimine du scénario.
